Je l’ai Echappée Belle

Aperçu vidéo ici.

La grange des Gleysin 82ème km. La barrière horaire initialement prévue à 8h est décalée à 9h, Belledonne a déjà laissé un paquet de concurrents derrière. Je ne suis plus très serein à l’idée de finir cet intégrale longue de 149kms 11400D+. Se dresse devant moi maintenant le redoutable Moretan, un mastodonte !

L’Echappée Belle; je la rêve depuis 5 ans. L’aventure, l’inconnu de passer la ligne, la joie de vivre ce défi, une traversée du Sud au Nord, un parfum de GR20 dans les Alpes. Prendre le départ aura déjà été une longue réflexion, mes pensées sont ailleurs, je pense à toi JS sur la ligne de départ.

Ve.02h00 Aiguebelle, il faut prendre la navette pour Vizille où un bon petit déjeuner nous attend. Je retrouve Alex « Le Vicking » rencontré sur La Diag 2018, passionné et motivé comme jamais. Les derniers instants de calme, nous entrons ensemble dans le sas de départ…

Ve.05h45, il est là le maître François, faire honneur à l’Echappée Belle, ultra favori pour relever le défi et faire tomber un record sur ce tracé technique. Le briefing est court, pas de point météo, le ciel sera avec nous, une vraie chance…Gestion, gestion, gestion, sonner la cloche pas difficile l’Echappée Belle!

Ve.06h00, c’est parti, je suis en première ligne, pas pour longtemps le chemin est long, trouver mon rythme et surtout mes sensations. On est parti pour une longue montée jusqu’à la Croix de Belledonne 2889m. Je perds Alex et retrouve Gilbert au ravito de l’Arselle 17km 2h47, sympa d’échanger quelques mots. La portion suivante est parsemée de petits lacs, un régal pour les yeux, Lac Achard, Lacs Roberts, Lac Longet, Lac de Léama, Lac Longet, des souvenirs de rando me reviennent. 27km 5h28 ravito du refuge de La Pra, 2453m de D+ dans les jambes, l’échauffement est fini. Un premier pierrier sous les Doménon, pour s’offrir ces 2 magnifiques lacs avant la bifurcation vers la croix. « Mettre l’amour au sommet » un slogan avec une vue à 360°, nous sommes sur le toit de cette Echappée, 32km 7h18 de course. La couleur émeraude du lac Blanc me fait de l’œil 800m plus bas. La forme est là, prudent je relâche un peu dans les Rochers Rouges vers le col de Freydane. Emerveillé par ce glacier devenu si petit, le verras tu dans 30ans ? Le bijou nous attire, contempler derrière soi les 3 sommets de Belledonne, mon spot préféré.

Ve.15h01, Refuge Jean Collet perché au-dessus du Grésivaudan. 1h de pause, en pleine chaleur, petite erreur, sauf qu’en ultra on les paye rapidement. Je prends un coup de chaud dans la montée du col de la Mine de Fer. Je ne connais pas cette portion, sur le roadbook s’est classé noir, je comprends mieux. Les blocs, les cailloux sont partout, slalomer, enjamber, mon allure diminue fortement quand je pointe à la brèche de La Roche Fendue, 42km 4000D+, le ravito est encore loin. J’apprécie ce coin sauvage, le soleil rasant offre des couleurs splendides aux montagnes, je savoure quelques myrtilles. Habert d’Aiguebelle, reste 100km 12h36 de course un concurrent me dit de ne pas traîner, je m’exécute. Direction le col de l’Aigleton 500D+, il pique celui-là, l’accueil des bénévoles est chaleureux sous la banderole. Descendre pour remonter, pas compliqué sauf que maintenant c’est le Col de la Vache et l’obscurité gagne. Des blocs, encore des blocs, la vision a changé et il me manque quelques lumens pour être plus à l’aise. Bien dommage ne pas voir les lacs des 7 Laux, il faudra revenir. La descente est un peu laborieuse à cause de ma frontale, j’arrive au refuge stressé, 2h de retard sur mes prévisions, la descente est technique et escarpée. Aucune défaillance physique, c’est plus le mental qui en prend un coup.

Sa.00h46. Station du Pleynet, 1h30 de pause, pas du tout exploité. Un manque de lucidité, un change mal organisé sous une tente exiguë, je ne dors pas. Néanmoins les pastas du restaurant me requinquent et une gentille bénévole me fournit trois piles de secours, merci ! Je passe en mode piles, exit les batteries. C’est reparti, je cours pour la première fois plus de trois kilomètres. La nuit est bien avancée et la montée de la Valloire me sera fatale. Je recule dans la pente, mieux vaut s’allonger, plus de force. La fin de l’ascension de 800D+ est un calvaire, et je ne suis pas tout seul. On unit nos forces à 3 pour gagner le Gleyzin. Troisième erreur ne pas avoir profité des abris off sur le parcours pour dormir d’avantage. 81km 26h01 de course, le jour s’est levé, mes idées d’abandons aussi. Jeter le dossard ici, en début de journée non pas possible, tenter le Moretan au moins, je repars. Les concurrents du 85km me déposent dans la montée, ti pas ti pas ça me rappelle La Réunion. Refuge de l’Oule, moitié de l’ascension, petite pause l’endroit est propice et les bénévoles aux petits soins. Les mains sur les cuisses ça devient pentu et technique, le Moretan est un mastodonte, la montagne n’est que pierriers, un dernier effort j’arrive au col bien sonné 87km et déjà 7850m de D+ avalés. Le début de la descente est difficile : névé, arête équipée de cordes, blocs rocheux, seul le lac Moretan reflète dans ce chaos minéral. Le ravitaillement de Périoule me fait du bien avant la descente. Je relance un peu. « Attention la montée suivante est la plus raide », je comprends vite pourquoi.. dré dans le pentu en pleine chaleur, je recule, je m’assois, je suis de nouveau KO. Les idées d’abandon m’envahissent à Super Collet 4km plus loin, 1h15 d’avance sur la barrière horaire. L’endroit est bondé pas une place pour se poser au calme, je me réfugie sous les tentes sur un lit de camp. « Tu ne peux pas arrêter là … » sonne Laurence au téléphone, 34h41 de course restent que 49 km !

Sa.17h50. Je quitte Super Collet km101, chaussures changées avec 10min d’avance sur la barrière horaire un vrai coup de poker ! La piste de ski est plutôt salvatrice, au col de Claran je m’agrippe à un groupe, l’allure est plutôt bonne en descente et me redonne vite espoir. Je retrouve petit à petit de l’énergie en cette fin de journée, la magie de l’ultra des moments « up &down », j’arrive au refuge des Férices à la tombée de la nuit, plein d’espoir. J’ai souvenir de cette partie faite en 2014 sur le 85km, dommage pour les paysages sur les crêtes, la lumière des frontales trace le chemin. J’arrive à Val Pelouse 118km avec 2h d’avance sur la barrière horaire. Plus question d’abandon mais toujours pas de dodo, je prévois une sieste de 20min au dernier ravito. Toujours difficile la deuxième partie de nuit, la fatigue, la somnolence me fait plonger dans le monde des hallucinations, il est temps de s’allonger sur le bord du sentier. La descente est interminable, je dors debout.

Di.06h18. Le Pontet 1h40 d’avance sur la dernière barrière horaire, le jour s’est levé et l’arrivée se rapproche. Les yourtes sont une invitation à dormir un peu enfin, 20min au calme. Plus rien ne peut m’arriver, la dernière bosse, l’ultime descente, je me surprends même à courir. Aiguebelle, j’ai le privilège de sonner la cloche en 51h51 239ème, je l’ai Echappée Belle.

J’ai reçu beaucoup d’énergie sur cette Échappée Belle, comme un « pèlerinage ». L’échappée Belle c’est une superbe organisation, de supers bénévoles et des paysages splendides, plus qu’un trail pour moi, une histoire née en 2013.

A mon cousin J.S.

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