J’ai survécu à mon rêve, la Diagonale des Fous.

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Je viens de me hisser en haut du Maïdo marche après marche, Ti pas, Ti pas, il est 9h25 du matin.

La brume noie le paysage, un épais crachin recouvre les parois montagneuses, l’immense cirque de Mafate est caché sous le bouclier grisâtre, dommage ! Je monte à petit rythme depuis plus d’une heure. La voix d’un homme perché sur un rocher résonne. Des psaumes dont je ne saisis pas grand-chose, l’homme semble bien « allumé ». J’hallucine peut-être, je me pince, est-ce réel, un fantôme ? Non, je suis bien sur le Grand Raid de la Réunion et je sors de ma deuxième nuit. Cet instant surréaliste me restera gravé pour longtemps.

Jeudi 19h, je laisse mes proches, 3 sacs d’assistance accrochés sur mes épaules. Contrôle du matériel obligatoire, c’est bon, j’ai le droit de participer à la fête. Heureux comme un gosse ; l’insouciance de la première fois. Parfum d’été sur fond de concerts, l’ambiance monte à Ravine Blanche. L’esplanade se remplit doucement, un photographe capture les derniers moments de décontraction partagés avec Andreas, Fabienne, Pierre-Alain et Guy. Un soudain mouvement de foule interrompt la quiétude, le speaker Ludovic Collet réveille tout le monde. Collé, serré dans le sas de départ, je suis bien mal placé. Je vais vivre quelque chose de fort sur l’île intense.

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Jeudi 22h, l’émotion, le cœur qui vibre, c’est grandiose, comme à l’UTMB il y a 3 ans. Cette foule, ces sourires, des milliers de personnes hurlent, crient, chantent. Laurence et les amis sont là, je les retrouve 100m après le départ, c’est inespéré. Je suis galvanisé, le rêve va devenir réalité. Je me fais doubler, doubler, doubler…qu’importe, je savoure et partage l’instant. Le front de mer a des allures de col du Tour de France. Les conseils de départ rapide sont ratés, je me plonge dans mon Raid avec les dernières lueurs de la ville. Ma frontale perce les nuages de poussière des sentiers de champs de canne à sucre. Fabienne et Pierre-Alain, sont là, l’allure est bonne, la motivation extrême. Je file, p’tit raideur solitaire, accroché à mes espoirs, à mon rêve. Domaine Vidot, ravito n°1 1h54 1499ème  comme un parfum de Sainte Lyon sans le froid, je ne traîne pas.

Vendredi 00h15, pas de bison futé, je suis dans les fameux bouchons. J’en profite pour grignoter un peu, patience la route est encore longue, p’tit raideur. La longue montée progressive sur le volcan égraine le peloton, la fraîcheur se fait ressentir. Quelques pâturages et barrières, non ce n’est pas l’UTPMA, ni le Cantal. L’allure est calée, une étoile filante éclaire la nuit volcanique. Le doute, on a perdu la trace. Aller – retour sur le sentier, ça jardine, un bon kilomètre de plus haut sur le Volcan ! Je sors la tête des bruyères, la brume est installée au Belvédère Nez de bœuf, alt.2040m. Le jour et une autre course arrive.

Vendredi 7h06, Mare à Boue km50 alt.1609m 1218ème 9h06 de course. Petit faim, riz poulet ça passe bien, presque délicieux. Chemin Kerveguen, c’est quoi ce truc, ça se corse, un sentier Péï technicité locale où mes Altra Olympus font merveilles. Interminable, cassant, la fatigue se fait sentir. Quelques chutes devant moi, et les premières couvertures de survie sorties, ça se durcit. La beauté du sentier me fait oublier la longue montée âpre, le Piton des Neiges imposant est drapé sur un versant de nuages, splendide. Côteau Kerveguen alt.2200m, le saut dans Cilaos est juste impressionnant, D-800m en tout juste 2kms ! Une descente, non plutôt un mur à descendre, la danse des marches et des virages en épingles. Prudence sur ce sentier, une stèle en guise de rappel ! Enfin Mare à Joseph, soleil tu tapes.

Vendredi 13h52, Cilaos km65 alt.1252m 1229ème. L’accueil Péï au top en ce jour de fête de la lentille, base de vie n°1. Petit luxe dans l’aventure, douche et change intégral, ça fait du bien, mais la chaleur m’assomme dans le gazon du stade. Je tente une sieste sous la tente, mais il fait trop chaud. Je décide d’aller manger un peu. 1h30 de pause et je repars, fatigué ! Tu vas le payer p’tit raideur, ta course commence ici ! Reste 100km et Mafate en guise de couperet.  Jolis sentiers de Cilaos, tu me tiens éveillé, Cascade Bras Rouge tu me rafraîchis au fond du gouffre. La courbe de niveau s’inverse, les paysages me captivent de plus en plus. Le chemin me paraît soudain plus long. Le ravito début du sentier du Taïbit, instant de peine, je m’allonge sur la route départementale, puis sur le parapet en béton, non ce n’est pas encore ici que Morphée va venir. J’ai sommeil, attendre Marla, non trop froid ? Je doute, Ti pas Ti pas, grimpe, avance p’tit raideur. Je me souviendrais longtemps de cette interminable montée, contrastée avec la beauté des paysages. Col du Taïbit, Mafate ouvre ses portes.

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Vendredi 18h22, Marla km78 la nuit tombe, j’ai perdu 250 places depuis Ciloas ! Je me restaure un peu, et tente une sieste sur l’herbe. La nuit est définitivement tombée, il fait frais ici à 1600m d’altitude. Pas question d’abandon ici, sauf pour un tour d’hélico, pas trop envie ça ne serait pas bon signe. Je repars, « lé gayard » affronter le dénivelé de Mafate 3000D+, positive attitude, ne pas subir mais vivre l’instant. Je reconnais le sentier fait 5 jours plus tôt. La nuit, une autre dimension, les bruits des couvertures de survie dans la forêt, les senteurs, les ombres tout devient différent. Plaine des Tamarins, Col des Bœufs, Plaine des Merles, Sentier Scout, La Plaque et sa passerelle suspendue, les îlets traversés sont autant de témoignage d’une histoire difficile, le marronnage. Accroché à ma lueur de frontale, ma ligne de vie, j’imagine les crêtes, les gouffres qui m’entourent.

Samedi 01h33, Grand Place Ecole alt.687m 1265ème 27h33 de course. Salutaire, je m’allonge sous une tente pour une sieste chronométrée de 30min. 1h plus tard, c’est reparti. Les chemins sont escarpés, chaotiques par endroit, périlleux comme dans la descente sur la rivière des Galets. Mafate, ça se mérite ! Le jour se lève rapidement, l’imposante façade minérale devant moi, il y a un sentier ici ? Il faut se hisser jusqu’à La Brèche, je peine, je doute, les lacets serrés et les marches irrégulières, innombrables. Le surplomb est imposant offrant une vue majestueuse. Le sentier est taillé à flanc de paroi pour rejoindre plus haut le rempart. Petit à petit je plonge dans la brume…je ressortirais différent.

Samedi 9h24, Maïdo Tête Dure alt.2030m 1261ème 35h24 de course. Les aventuriers du Bourbon, sont désormais sur la même trace. Il pleut au sommet, du vent, et quelques raideurs mal en point, je ne prends pas quartier ici. Descendre, descendre quasi au niveau de la mer, du froid au chaud, je quitte Mafate pour la ville. Une transition longue de 13km, je voudrais courir mais je suis à l’économie. Les champs de géranium, les senteurs de citronnelle, Alex le Vicking en botaniste aguerri me redonne le parfum du Grand Raid. Cette transition roulante permet de bons moments d’échanges et de plaisanteries, des sourires, le plus dur derrière et l’espoir de finir point son nez.

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Samedi 12h34, Sans Souci 126km alt.345 1212ème 38h34 de course. Retour à la civilisation avec la mer en vue, la cour d’école est aménagée en base de vie n°2. Quelques mini crêpes, un yop bien frais, je file dans le fond de la cour à l’ombre. Le robinet d’extérieur fera office de douche, les jambes apprécient. P’tit raideur va dormir un peu. Le chemin est encore semé d’embuches. La casquette saharienne du Grand Raid sur la tête, je repars. La Rivière de Galets, puis une longue bosse vers Dos d’Ane, je transpire à grosses gouttes. La bouteille d’Oasis achetée au bord de la route me fait le plus grand bien. Le voilà enfin, le Chemin Ratineau, ses racines, ses cordes, un homme blessé à terre, des glissades. Je préviens un proche venu à la rencontre du blessé plus bas. Ti pas, Ti pas, le sentier Kalla fini de fatiguer le bonhomme, les couleurs du coucher de soleil m’accueille à La Possesion.

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Traversée de la Rivière des Galets

Samedi 18h34, La Possesion 144km alt13m 1172ème 44h48. La foule acclame les raideurs, l’accueil Péï encore, chaleureux. Le releveur droit me chatouille, sagesse, je préfère prendre la direction du kiné. Me voilà, strappé, le dernier remonte à l’UTMB 2015, souvenir épique. Tiens, les pierres noires du Chemin des Anglais s’alignent dans ma frontale. La chaleur des pseudos pavés rayonne encore, désorienté, déséquilibré, déconcentré, je maudis ce fichu sentier. Je m’allonge de nouveau. L’espoir est relayé, je fais finir, c’est certain. Grande Chaloupe, je file, je m’accroche à l’allure euphorique d’un groupe, mon regard suspendu vers les lumières de l’antenne, tout là-haut.

Dimanche 00h20, Colorado 160km alt683m 1152ème 50h20. Sécurité, je change les piles de ma frontale et savoure mon dernier ravito. Je me jette dans la descente, technique jusqu’au bout la Diagonale. La ville est là en bas, le stade apparaît enfin à l’horizon, je l’ai fait la traversée de l’île intense. J’ai survécu à mon rêve. Une arrivée intime, en solo, un souvenir à vie. 52h02, c’est fini, j’ai ma médaille, mon tee-shirt jaune, je ne réalise pas vraiment, je rêve peut-être !

Dimanche 05h30, j’ai dormi dans un coin du stade, quel bonheur. Je me réveille pour l’arrivée de Fred et Pascal, 32h32 pour boucler le Trail Bourbon. Anne en chef d’orchestre, la photo souvenir est dans la boîte.

Dimanche 14h13, elle arrive, elle l’a fait, juste énorme, quel mental, Laurence en fini aussi avec le Bourbon, 41h14 ! Le pari de la p’tite danse sur la ligne d’arrivée avec Laetitia, complétement fou. La Dodo peut enfin être savourée.

Ma Diag appartient désormais au passé, j’ai parfois douté sur mes capacités et la raison de ce défi complément fou. Les réponses sont encrées profondément, un hymne à la vie, la nature, une communion intime. La satisfaction vient de l’absence de blessure et le sommeil sans doute la chose la plus difficile à gérer. L’ambiance de cette course est extraordinaire, une grande fête pour La Réunion, elle aime le Grand Raid, le Grand Raid aime la Réunion.

Grand Raid de la Réunion / Diagonale des Fous 170km – 9700D+

Grand Raid Réunion-Nicolas-Cognard

6 commentaires sur « J’ai survécu à mon rêve, la Diagonale des Fous. »

  1. Une très belle histoire qui donne envie de monter dans le premier avion partant pour la Réunion . Bravo pour cet exploit. Rien de plus beau qu’un Homme face à lui-même pendant 52 heures… Merci pour le partage.

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  2. En plus de tes talents de runneur fou, tu nous avais aussi caché celui d’écrivain émérite.
    Comme le dit si bien Olivier, on n’a qu’une envie. Prendre le départ à son tour pour un rêve éveillé…
    Bravo et Respect à toi NICO !!

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